Bonjour tout le monde!
Je suis nouveau ici et je viens de finir d'écrire mon manuscrit "Ensembles vides". Une fiction de 184 pages qui s’inscrit dans une narration aux multiples points de vue et aborde les thèmes du langage et de sa place dans notre rapport à soi et au monde.
Je cherche des retours / observations/ critiques.
Je mets ici le résumé ainsi que les 3 premières parties. N'hésitez pas à me dm si vous avez des questions ou si avez envie de lire la suite.
SYNOPSIS
Oscar Bourdelle, employé discret dans une imprimerie familiale, constate progressivement que les mots ne le relient plus au monde. Bavardages inutiles, discours saturés, dialogues vides, tout lui apparaît comme une surenchère verbale qui appauvrit la perception. : il l’en sépare. Quand la parole se retire, d’abord par accident puis par choix, il découvre une autre façon de vivre : une attention accrue aux détails, aux matières, aux rythmes minuscules du quotidien. Les journées muettes deviennent expérience, les objets cessent d’être réduits à leur utilité et retrouvent une autre forme de présence. La parole déferlante face au silence contemplatif. Cette opposition nourrit la tension centrale : comment habiter le monde sans être étouffé par le langage ? Le silence est-il carence ou ressource ?
PARTIE I
« Et celui-là, qu’est-ce que tu en penses ? »
Rien. Je n’en peux plus de t’écouter parler. À vrai dire, ça ne m’intéresse pas. Plus je fais semblant et moins ça me prend.
« Regarde-le. On en perdrait son latin. »
Comme pour envoyer des signaux, j’observe la trotteuse, puis mes orteils, ce carton, juste là. Je rebondis mollement dans les interstices que tu daignes me laisser. Progressivement, je m’exclus de ton centre de gravité. J’approche les plus petites imperfections que mon mobilier révèle dans sa sévère monotonie. Je me colle aux objets. C’est curieux comme l’ennui nous révèle les choses sous un jour nouveau. Un bain tiède de lucidité.
« J’ai arrêté de vouloir plaire, tu vois ? Je suis dans autre chose maintenant, dans un autre élan. »
Il est de ces moments où l’on se demande comment la personne en face de nous arrive-t-elle à ne pas voir que nous l’écoutons plus. Mais rien à faire, tu es là, chez moi, en train de délivrer une ultime conférence sur ce truc.
« Alors oui, c’est vrai, on ne change pas. On ne fait que s’accepter un peu mieux comme on dit. »
Personne pour me remplacer ou me souffler mon texte. Nous sommes seuls à deux, dans ce petit salon qui partage les odeurs de ma cuisine. Les yeux dans le vague, les jambes tressées aux barreaux de ma chaise, funambule sur mes fesses devenues indolores. La tête pendue à mon cou.
(Ses mains s’animent et dessinent dans les airs des petits mouvements. Des véritables instruments de mesure d’activité cérébrale.)
Petit déjà, tu parlais tellement. Je regarde mes ongles qui poussent. Le fond de la pièce. C’est toi qui as su donner le mot pour la première fois entre nous.
« Une grande, une énorme toile pointillée d’oursins qui gigotent et qui parlent ! »
(Qu’est-ce qu’il a dit ? Je ne sais pas si je suis censé répondre. Je hausse les sourcils.)
« À mon avis, je touche quelque chose d’inédit, de plus authentique, de plus texturé, de plus concret. »
Je te regarde parler, et je me souviens de ce silence installé comme une nappe blanche. De ce prêtre affable qui pèse chaque mot comme si quelqu’un d’autre l’écoutait. Je ne sais pas son prénom. Jamais demandé. L’écho de mes pas. Les chaises en bois qui grincent, les pierres froides. J’y vais parfois le midi, elle n’est pas très loin de l’imprimerie où je travaille. Ce petit monde en vase clos, hors du temps. Une parenthèse. L’écho de mes pas.
« Une métaphore, on sent qu’il m’a résisté. Mais je suis parvenu à une sorte de compromis. C’est douloureux au départ, mais le jeu en vaut la chandelle. »
(Je me demande si je dois sortir les poubelles ce soir ?)
« Tu sais, c’est ce petit je-ne-sais-quoi qui fait toute la différence. Cet instant primordial, fugitif, si précieux. Ce petit rien, ce, ce… »
(Qu’est-ce que tu cherches, quel mot t’échappe ? À moi, je ne sais pas, ce n’est sûrement pas moi qui vais pouvoir t’aider mon pauvre : je, j’ai… Joue ? Oui… Tu l’as ? Parfait.)
Ce prêtre et moi, qui parle de moi. À croire qu’on ne se confie jamais mieux qu’à des inconnus. Peut-être qu’il m’écoute. Je me demande si son amour pour Dieu est compatible avec son haleine fermentée.
(Mince ! Il a aperçu mon petit rictus. J’espère qu’il ne l’a pas mal interprété.)
« Je crois que tu ne saisis pas, on est loin du chef-d’œuvre, c’est vrai. Mais quand même, jamais je n’aurais cru atteindre un tel résultat. »
Non, je ne saisis pas. En y réfléchissant, ce n’est pas étonnant que je ne saisisse pas. C’est affolant comme tout nous sépare aujourd’hui. Plus le temps passe et mieux je m’en rends compte. Quand tu ne peins pas, tu joues des mécaniques, fréquentes des lieux de vies où tu pourras verser allègrement dans toutes sortes de frivolités. Ta spécialité ? Feindre la modestie qui oblige en quelque sorte ton interlocuteur à t’encenser. C’est ce qui arrive lorsqu’un peintre s’attarde davantage à construire un discours autour de son œuvre plutôt qu’à la créer. Tout ce qui l’entoure t’es est bien plus important. Il constitue matière à discussion, tremplin pour la discorde. C’est autant de coups d’épée dans l’eau que tu donnes, pour mieux dompter l’air que tu brasses. Mais moi, je sais pourquoi tu te donnes autant de mal.
« C’est le processus, le processus qui compte vraiment. Avant d’être la toile que tu vois, c’est tout un cheminement qui se perd, puis revient, et repart encore. Avant tout, est précieuse l’audace qui le permet. »
Tu me parles. Ta bouche s’agite et vibre en variant les tempos. Tout me vient à moi comme un refrain idiot. Un manège sans cavalier. Et l’heure qui continue sa course.
« Fini les pinceaux. J’ai retroussé mes manches et j’y ai plongé mes mains. Impossible liberté. Désormais tout est interdit et tout m’attire. Ça ressemblait à un genre de flirt avec moi-même »
Alors qu’au fond, je t’apprécie toujours autant. Mais qu’est-ce qu’on partage aujourd’hui ? Depuis l’héritage de tes grands-parents, tu peins, tu voyages, tu découvres. Moi, je trie, je fais des bons de commande, j’imprime des textes que je ne lis pas.
« Vue d’ici, c’est presque beau. »
(Je secoue la tête, mais c’est bien ce miroir que mes yeux regardent. Ce visage qui dégouline.)
« Et là, tout avait changé ! »
Oui, comme lorsque j’ai dû remplacer mon père à l’imprimerie ? Malgré mes études à l’université. Mon erreur, j’ai voulu m’éduquer plutôt que de me former. Et je n’ai même pas réussi. Loin des cocktails et des salons, c’est mon oncle que je fréquente le plus. Un supérieur dont je me suis habitué aux traitements les plus abaissants. Lui et sa cravate ignoble. Il est comme toi, il fait du bruit. D’autant plus que, que je, je…
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(Il m’a parlé de quoi ? Je crois que je devais répondre. Je ne sais plus.)
D’habitude, je rebondis, j’adhère, j’exécute. Et dans un réflexe martial, ma parole s’accomplit dans l’action.
« Mais ce n’est pas une question de théorie.
C’est une expérience. Littérale. Corporelle. Presque animale. Quand je peins, je ne fais qu’un. Il n’y plus celui qui applique, et celui qui doute. Je suis dans le geste. »
(Et voilà qu’il me le colle sous le nez maintenant, trop près. J’ai déjà oublié ce qu’il me montrait.)
« Tu sais, ce qui me fascine le plus, ce ne sont pas les couleurs, ni la composition, ni même le sujet. Ce sont les zones instables. Les endroits de la toile où tout pourrait basculer, où rien ne tient, mais où ça tient quand même. Ce que je n’ai pas décidé. Ce qui s’est fait sans moi. »
(Il faut absolument que je passe la voir bientôt. J’ai attendu trop longtemps depuis la dernière fois.)
« Ce n’est pas l’achèvement qui m’intéresse. C’est le défaut, le surgissement imprévu, l’échec même. Je peins pour atteindre cette sorte de friction, de vertige, où la matière me résiste. Et c’est quand elle me résiste que je sais que je suis en train de toucher à quelque chose. Avant, je voulais produire des images. Maintenant, je cherche des endroits. Des lieux mentaux, des failles. »
Je ne t’écoute pas, mais tu es là. J’existe un peu, pour quelqu’un. Je suis las. J’aurais aimé te donner la pareille, rebondir aussi sec sur chacune de tes exclamations, t’accompagner dans tes délires visionnaires, jouer les Icare, faire semblant d’y laisser des plumes.
« … Oscar ?! »
(Ah ! Je connais ce regard. Il attend quelque chose. Il m’a posé une question, peut-être même qu’il a déjà une réplique à ma réponse. Mais quoi dire ?)
Je fronce les sourcils. Je regarde en haut à gauche. J’ajoute un pincement de lèvre furtif. J’allais poser ma tête sur mon poing, quand il sonna la fin de ma comédie sans paroles.
« (…) Cmoopositin, pgimnet, tolie, exsitnece, vtreu, morael, fgiuratif, sbuejctif, cnoanissance, pnesée, fniutide, téhroie, rfleéxion, psrteceivpe (…). »
Une pétarade d’adjectifs. Tous aussi inaudibles les uns que les autres. Il ne me reste plus qu’à redresser la tête, et à jouer la sonate favorite des oiseaux en cage : Mmh mmh. Mmh mmh. Mmh mmh.
« Tu m’écoutes au moins ? »
Mes yeux se cramponnent aux tiens. Ce n’est pas la peine de me regarder comme ça ! J’ai mes limites. Qu’est-ce que c’est que cette grimace ? Ne me regarde pas comme ça. Essaie de me comprendre.
« Tu parles d’une gueule. »
C’était son dernier mot. Il reprend son manteau, me fait un signe de la main, claque la porte derrière lui. J’en suis presque ému, soulagé.
Je regarde ma montre. Soupir.
Me voilà seul, entretenu par l’éloge de la tranquillité. Ah je l’entends, le repos qui clame ses tendres plaintes. Concert interminable que j’étoufferai bientôt de mes couettes. Tiens, pour me récompenser d’avoir survécu sans desserrer les lèvres, je vais commencer par divorcer de ma chaise et…
La voisine du dessus qui tambourine le plafond. Il n’y a donc pas d’heure pour tourmenter les âmes en peine.
PARTIE II
Début de séquence
Scène = {Lendemain / Fin de matinée.}
Actions_1 = [
" Il se réveille. ",
" Avale une tasse de café, se tient debout au milieu du salon. ",
" Il s’étire mollement. ",
" Son dos craque. ",
" Replie les volets. "
],
Champ = [
" En désordre. ",
" La lumière s’écrase. ",
" La poussière tempête. "
],
Actions_2 = [
" Il bâille. ",
" Les yeux mi-clos, il est planté devant son miroir. ",
" S’admire, le sourire à l’envers. ",
" Chaque pas empreint le sol. ",
" Respire un grand coup et s’assoit. Le poing sur la joue. ",
" Il regarde par la fenêtre. Des vêtements traînent par terre. Il n’y fait pas attention. ",
" En sous-vêtement. ",
" Il s’enfonce dans son fauteuil. ",
" Bâillement. ",
" Il ouvre la bouche, remue les lèvres. ",
" Il redresse le torse et hausse le menton. ",
" Remue les lèvres à nouveau. ",
" Pousse sur ses poumons.
" Maintes tentatives. "
],
Résultats = [
" Aucun son ne sort. ",
ë " Sa gorge déployée tremble, mais ne sonne pas. ",
ë " Le moindre son est introuvable. ",
ë " Impossible de parler. "
],
Actions_3 = [
" Il plisse les yeux, se frotte les oreilles. Tire " sur ses joues. ",
" D’autres tests. "
],
Résultats = [
"Æ"
],
Actions_4 = [
" Ouvre la fenêtre et prend appui. ",
" S’époumone au vent. ",
" Sa bouche grande ouverte le creuse de rides. "
],
Résultats = [
" Les passants ne le remarquent pas. ",
ë " Les mots ne lui manquent pas, mais eux manquent à l’appel. "
],
Actions_5 = [
" Soupir. ",
" Il ne comprend pas. ",
" Cri. Cri encore. ",
" Rien ne sort. ",
" Se retourne subitement et gagne un pas énergique. ",
"Tourne en rond. ",
"Chante, siffle, force le rire, donne le ton, déclame, murmure. ",
"Cri encore. "
],
Résultats = [
"Rien ne s’entend. "
],
Actions_6 = [
"Il fonce et attrape son téléphone, compose un numéro et attend.
"Quelqu’un décroche. "
],
Dialogues = [
« Bonjour, que puis-je faire pour vous ? Allô ? … Allô » ?
],
Actions_7 = [
Son souffle râle. ",
],
Dialogues = [
« Allô ! Il y a quelqu’un ? »
« Bon, je raccroche. »
],
Actions_8 = [
" Il écrase le téléphone. ",
" Se gratte, s’agite, panique. ",
" Sa tête se rentre dans son torse. ",
" Cri encore. ",
" Secoue la tête. ",
" Marmonne un rien. ",
" Sans résultat. ",
" Son fauteuil le supporte de nouveau. ",
" Le monde parle sans lui. ",
" Médusé, il tient la pose. ",
" Encore. ",
" Se gratte le nez. ",
" Nerveusement. ",
" Il commence des gestes mais ne les finit pas. ",
" Regagne sa pose. ",
" La tête dans les mains, le dos courbé, il disparaît par le menton. ",
" Statufié, il geint. ",
" Personne ne l’entend. Pas même lui. ",
" Se niche sous sa couette ou grignote.
" Presque. ",
" De temps en temps, il ouvre la bouche, attend, puis la referme. ",
" Encore en slip.
],
Scène = {Les jours s’écrasent.}
Champ = [
" Rien ne bouge ici. ",
" Tôt dans la matinée, le téléphone sonne. "
],
Conséquences = [
" Stridente sonnerie crispe ses muscles. ",
ë " Refuse de répondre. ",
ë " Désarmé. "
],
Hors-champ = [
" Le fond sonore de la vie urbaine grimpe à sa fenêtre. ",
" La neige ne tient plus, dégouline le long des rues. "
],
Actions_1 = [
" Il bondit. ",
" Ferme les volets, les rideaux, les verrous, et " le monde disparaît. ",
" Les pas de la voisine du dessus détonnent de nouveau. ",
" Il fixe le plafond. ",
" Encore. ",
" Rabaisse le front. ",
" Retourne s’allonger. ",
" Sa tête le démange. ",
" Une tasse de café. ",
" De retour sous les draps. ",
" Pas de douche aujourd’hui. ",
" Ni lumière, ni occupation. ",
" Lui qui fixe le noir. ",
" Il fait gonfler puis dégonfler sa cage thoracique. ",
" Tentative vaine. "
],
Champ = [
" Quelques fins rayons traversent l’appartement. "
],
Actions_2 = [
" La vaisselle s’entasse. Quoiqu’il ne mange plus beaucoup. ",
" Il s’allonge. Transpire à flots. Se tourne et se retourne. ",
" Le regard fixe. La langue inerte. ",
" Attend sur le siège des toilettes. ",
" Sursaut. ",
],
Hors-champ = [
" Le téléphone sonne. "
],
Actions_3 = [
" Il regarde vers le téléphone. ",
" Il regarde ses pieds. ",
" Volets fermés et slips sales. ",
" Des cernes ombragent sa face. ",
Champ = [
" Lendemain. Surlendemain. ",
" On frappe à la porte parfois. ",
" La pénombre prive bientôt le mobilier de ses reliefs. ",
" Le cycle des journées se poursuit. "
" Le robinet goutte. ",
" Le silence inonde chaque intervalle. ",
],
Actions_4 = [
" De moins en moins de mouvements, de décisions, d’initiatives. ",
" Parfois, il ouvre juste un peu les volets. Regarde à travers. ",
" Il lui arrive d’ouvrir la bouche. À peine pour manger. ",
" Il picore du pain au fond du lit. ",
" Ses mastications résonnent, bourdonnent dans ses tempes. ",
" Il s’endort. ",
],
Champ = [
" Une odeur flotte. S’exfiltre. Demeure. ",
" Les tambours du dessus. ",
" On frappe à la porte. Ou c’était peut-être hier. ",
" Une lumière oblique tranche la pièce. ",
" L’horloge est figée. ",
" On distingue les volutes de poussières nager tranquillement. ",
" La nuit abat son ombre. "
],
Actions_5 = [
" Perché sur son fauteuil. Tête contre genoux. ",
" L’oiseau de nuit dispute les cieux de sa voix muette. ",
" Ses pleurs le grimacent. ",
" Il continue de s’agiter et de remuer les lèvres. ",
" Il s’étire, sans conviction. ",
" Traîne des pieds. ",
" Quelques cheveux gris. ",
" Ses jeûnes à répétition le rendent vaseux, déséquilibré. ",
" Étendu dans son linge. À moitié nu. ",
" Il préfère garder les paupières mi-closes. "
],
Fin de séquence
PARTIE III
Sujet : Oscar Bourdelle Taille : 1 m75 Poids : 65 kg
Date : [Non précisée]
Lieu : Domicile
Référent : [Anonyme]
Objet : Transcription de l’introspection du personnage principal.
PHASE 1 – Visions et dérives sensorielles :
Sujet : Je préfère garder les yeux fermés. Immodérément, tout un monde s’offre à moi, rien que pour moi. Sous mes paupières, d’amples pages iridescentes dansent pour moi. Souvenirs des mystérieux paysages qui se donnaient à la lumière, ceux que j’ausculte vaguement derrière mes paupières.
……………………………………………………
Référent : Début du monologue improvisé, voix calme, posée. Le personnage semble installé confortablement, probablement allongé. Il entre rapidement dans un état semi-hypnagogique.
……………………………………………………
Sujet : Puis, se désagrègent en formes abstraites, d’une couleur jamais fixe, elles persistent dans leurs étincelantes chorégraphies, brouillonnes, de surprise en rebondissement, jamais elles ne s’arrêtent, alors je les suis du regard, égaré mais fasciné, déterminé à me soumettre à leur charmes, je ne veux pas les perdre, pourtant toutes s’envolent, s’échappent, sursautent, s’arrachent à mes amours, me trompent, me séduisent en retour, m’envoûtent de leurs imprévisibles métamorphoses, prématurément, renouvellent les pourtours de leurs courbes changeantes, battant des ailes, indifférentes à mes supplications, imperturbables cérémonies, qu’aucun de mes rictus pourra dénuder de leur gravité, je les tiens en secret, interdites aux adorateurs, que de pénibles images pétrissent l’ordre interne du piètre animal que je suis, chancelant, étourdi sous les feux des lanternes agonisantes, ces compositions asymétriques…
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Référent : Des hallucinations auto-induites, probablement bénignes, caractérisées par une cinétique propre, autonomes, mouvantes. Tel un phosphène.
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Sujet : De leur teintes surexposées, m’arrachent à mon jardin, me poussent à revenir vers elles d’un ton solennel, sous un motif sonore aquatique, elles m’appellent, persistent et revendiquent ce qu’il y a de plus brillant, leur lumière déforme les contrastes, foncièrement instables, ravive les écarts superflus, verse sans retenue dans l’inconventionnel, s’attachant obstinément à l’ébauche, encore incertaines, puis jaillissent pour envahir sans concessions le diaporama infini de mes yeux clos, pour offrir l’époustouflante illusion d’un voyage immobile […].
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Référent : Le personnage décrit un état d’immersion. Il évoque une surstimulation de l’imaginaire visuel. Il ne manifeste aucune angoisse face à ces apparitions. Il en fait une lecture esthétique, parfois presque mystique. Inflation verbale exponentielle. La suite est sensiblement similaire et n’apporte rien de plus.
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PHASE 2 - Transition vers le somatique :
Sujet : Ah que j’ai faim. J’ai faim, j’ai si faim. C’est insupportable. N’y a-t-il rien d’autre à faire que de bouffer, toujours bouffer ? Qu’on me laisse tranquille, je veux voir, voir comme je n’ai jamais vu. Quand je pense au temps que j’ai perdu à mâcher en gourmet les affreuses pâtées qu’ils osent nous vendre. Et dire que j’y ai pris du plaisir. Aujourd’hui, le minimum de calories me tient suffisamment vivant pour connaître un monde jamais découvert, et qui pourtant est le mien.
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Référent : Retour brutal du corps dans le champ de la conscience. Ce motif semble revenir par la suite : frustration somatique, rejet du besoin organique, dégoût même. Le personnage paraît figé
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PHASE 3 – Recentrage phénoménologique :
Sujet : Un monde que je côtoie chaque jour, sans y faire vraiment attention. Ou plutôt, je ne prêtais attention aux choses que si elles pouvaient m’apporter le moindre bénéfice. Que si elles augmentaient ou diminuaient mon bien-être. Si ma voisine du dessus martèle sans cesse son plancher de ses pas lourds ou je ne sais quoi, je me surprends désormais à apprécier les cascades de ses carillons cristallins. Ma tasse à café par exemple, ce n’est qu’un récipient, un outil pour satisfaire mon envie de café. Il est facile de n’y voir là qu’un objet dont l’existence se résume à la finalité que je lui prête. Sans moi, ce petit récipient ne conduit aucune existence propre, c’est un objet.
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Référent : Le personnage entame soudainement une réflexion phénoménologique, centrée sur l’objet – dans son sens le plus large – devenu presque étranger. Il garde les yeux grands ouverts.
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Sujet : Un truc. Un bout de matière, modelé à l’image de la fonction qui le précède. Il se tient là, inerte, comme s’il m’attendait pour enfin prendre vie. Mais en y regardant de plus près, ou plutôt de plus loin. En espionnant les choses dans leur secret, en s’assumant comme voyeur de son chez soi, on parvient à déceler l’imprenable au cœur de la banalité. À l’écart de nos acquis, de notre vécu, je peux cesser de voir à travers moi, de regarder pour vérifier : le meilleur de moyen de parvenir à une esthétique molle, conventionnelle, déjà toute trouvée. ……………………………………………………
Référent : À ce stade, il est légitime de s'interroger sur la finalité épistémologique de cette démarche introspective. L'orientation des réflexions semble moins guidée par une recherche de compréhension objective que par des mécanismes psychodynamiques sous-jacents. On pourrait envisager qu’il s’agisse d’une stratégie d’autovalorisation, voire d’un processus d’évitement cognitif.
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Sujet : Ce coussin, ce parquet, ce lampadaire, ce miroir, je les ai observés si longuement. Si bien que, parfois le temps paraît s’évaporer, comme dissout dans lui-même. À ce moment-là, toutes ces choses semblent gagnées en intérêt à mesure que nous en perdons pour elle. Je crois que nos yeux ont le pouvoir de vêtir comme d’ôter ce déguisement purement fonctionnel, de dissoudre cette fine pellicule qui recouvre les choses du monde. Comme le soleil sur la neige, mon regard dévoile, révèle, découvre un monde précieux et sobre, en le dépouillant en quelque sorte de son aspect utilitaire.
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Référent : Il semble opérer une déconstruction sémantique : suppression du mot pour rétablir la chose, hors de toute fonctionnalité. Paradoxalement, son approche phénoménologique paraît le mener dans une quête vers le monde en soi. Il économise le moindre geste.
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Sujet : Il me semble que ce déguisement est appliqué aux choses grâce aux mots qu’on leur associe. Je le pense car ces déguisements ont souvent l’air d’être conçus à notre image, extraits du moule de notre condition, de nos désirs, ou d’un genre de convention. Mais si je décide de faire disparaître les mots qui les habillent, que deviennent ces choses ? Ma tasse à café n’est plus vraiment une tasse à café, elle peut être une tasse à n’importe quoi. Ou même cesser d’être une tasse, non ? Je ne sais pas vraiment. »
PHASE 4 – Suspension d’usage :
Sujet : Mon tort est celui de faire de l’usage mon besoin. De croire que la seule façon de voir les choses est celle que j’utilise chaque jour. Les mots font exister les choses en moi par mes fantasmes, des symboles, les représentations, les idées que j’y associe. Ils sont comme des épures du réel. Pourtant, on agit tous comme si le mot suffisait à faire exister les objets du monde. Il faut dire qu’il est facile de tomber dans cette confusion. On a tous déjà constaté notre frustration quand les mots manquent à l’appel. Comme si une chose semblait ne pas tout à fait exister tant qu’elle n’était pas nommée. Mais, est-il vraiment nécessaire que je nomme les choses du monde pour en jouir ? Il y a bien des moments où les mots ne sont pas si indispensables que ça ? Bien sûr que oui, petit, je jouais avec des tas de choses sans savoir les nommer. Mais là encore, leur existence était liée à mon seul intérêt. Quelque part, je les tenais déjà. Une peu comme lorsque nous prenons de la terre entre nos mains. Elle prend la forme de celui qui la tient.
……………………………………………………
Référent : On note ici un point de bascule dans la démarche du personnage. Si toutes ses interrogations ne trouvent pas forcément de réponses satisfaisantes, elles annoncent la teneur d’une nouvelle attitude.
……………………………………………………
PHASE 5 – Réflexion existentielle et remise en question de sa condition :
Sujet : Il va bien falloir que je me décide à sortir de mon lit. Franchement, de quoi ai-je l’air… Je traîne, je traîne et me voilà à tergiverser dans le vide. J’ai l’air bête. Ce n’est pas comme si c’était la première fois. C’est drôle quand on y pense, nous pensons le plus naturellement du monde, nous tenir dans un univers où chaque évènement, chaque action, découle d’une cause bien définie. C'est comme une gigantesque horloge, où chaque rouage a son rôle précis, inévitable, dirigé par des mécanismes imperturbables. Dans ce théâtre absurde, on se croit acteur, entouré d’accessoires qui nous aideront dans nos scènes, d’instruments doués de potentiels prêts à servir nos desseins. Non, c’est pire que ça ! Ces objets ne se contentent pas de flotter autour de nous, je les saisis, les manipule avec soin, les intègre dans mon esprit grâce à mes mots. Alors oui, c’est vrai que ce rapport au monde, cette approche opérationnelle, où chaque chose peut être utile pour satisfaire nos désirs, donne une structure, une clarté à ce monde. C'est cette perspective qui tisse du sens dans le tissu de notre récit personnel, qui illumine les voies que j'emprunte pour atteindre mes buts, un fil conducteur aveuglant. C'est ce regard, ce raisonnement qui donne vie et cohérence à tout ce qui nous entoure. Pourtant, comment ne pas y voir un peu de narcissisme ? Ou quelque chose de pathétique, dans la croyance que nous serions la seule cause du sens de ce qui nous entoure ?
[Non transcriptible]
De toute manière, je n’y crois pas tellement. Et puis, on frôle l’aliénation en ne comptant que sur eux. C’est vrai quoi. Comme si nous ne supportions pas le doute ou l’absence de sens pour ne s’en remettre qu’à eux. Il nous manquait quelque chose, et maintenant on ne le lâche plus. Non mais c’est vrai, de quoi voulons-nous que les mots nous sauvent ? Bon. Allez hop ! Je vais voir ce qu’il reste à manger.
……………………………………………………
Référent : Plus agité qu’au départ. Une sorte d’hyperlucidité fait surface. Bouger devient nécessaire, comme pour réintégrer un point de vue plus confortable. Malgré tout, il est intéressant de noter qu’il ne s’exclut pas du champ de ses propres critiques.
……………………………………………………
PHASE 6 – Tentative de remise en cause du langage :
Sujet : N'empêche que, ce qui m’a toujours étonné depuis que je travaille à l’imprimerie, c’est que le langage, de toutes ses incroyables combinaisons, semble être avant tout un instrument de vanité. On parle, on parle, et l’on ne fait que répéter ce qu’on sait déjà. À croire qu’il n’a pour mission que de nous faire embrasser cet obscur objet de désir, nous-mêmes. Enfin, pas exactement. Il est le liant entre la réalité et la personne que nous aimerions devenir. Quelque chose comme ça.
[Non transcriptible]
Qu’est-ce que je fais dans la salle de bain ? … Oui, la cuisine.
……………………………………………………
Référent : Ici et là, il ressort que certaines pensées sont intranscriptibles, car trop brouillonnes ou « vides ». Probablement diluées dans l’action ou la confusion.
(Suite à venir)
by PossibleFine860